Soeur Emmanuelle, "briser le cercle de l'égoïsme"

A l’occasion de la parution de son livre « A quoi ça sert de vivre ? », le Père Jean-Luc LEFRANCOIS a rencontré Sœur Emmanuelle. C’était en 2004… Un échange vif et sincère à l’image de la religieuse qui a vécu d nombreuses années dans les bidonvilles du Caire. Extraits de l’interview enregistrée pour l’émission « Au cœur de la vie » diffusée le dimanche matin sur la radio « Tendance Ouest » et publié intégralement dans le numéro de « la Manche Libre » daté du 24 octobre 2008 ; Merci à Mr Le Directeur du journal et à Jean-Luc LEFRANCOIS de nous avoir autorisés à les publier.

 

            Ses engagements dans la vie

 

…Ne nous y trompons pas s’engager peut apparaître facile, demeurer fidèle est exigeant. Quant à l’itinéraire de ma vie, il a été balisé par l’engagement au service de Dieu et de mes frères humains. Mais, j’ai  toujours été attirée par l’enfance malheureuse.

 

            Son regard sur notre société

 

Un regard éclairé par l’espérance… Je vois la vie en rose parce que je regarde les personnes avec des lunettes roses, c’est-à-dire avec le seul regard qui compte, celui du cœur. Je rencontre plein de gens qui ont le sens de l’autre ; ceux qui ne l’ont pas m’intéressent moins…

Je crois que ce qui compte, c’est l’action produite avec le cœur.

 

            Elle croyait en Dieu, elle croyait aussi en l’homme

 

Je crois en Dieu, mais ça ne suffit pas. Je crois aussi en l’homme. Je crois que Dieu s’est fait homme pour partager notre vie et nous entraîner dans sa résurrection. J’ai des amis de toutes le croyances, des amis athées aussi. Je leur dis toujours : « Tu ne crois pas en Dieu, mais Dieu croit en toi ! » Mes amis ont tous le sens d’autrui, ils partagent leur temps, leurs biens leur cœur.


 

            La richesse de la pauvreté

 

J’ai vécu dans des bidonvilles - « villes-bidons » - il n’y avait rien à part les ordures récupérées par les chiffonniers. J’ai été à leur école, celle de la pauvreté, à ne pas confondre avec la misère où l’on manque de tout. Pour survivre nous avons appris à co-vivre. En Egypte, malgré le malheur, il y avait de la joie sur les visages. Les relations entre nous étaient profondes, authentiques, chaleureuses.

 

            Sa surprise quand elle est rentrée en Europe

 

Ce sont d’abord les visages moroses qui m’ont surpris. Dans un bidonville tout le monde se connaît et en arrivant en France j’ai vu des personnes s’enfermant à double tour. J’ai été surprise parce que là où l’on a rien on sourit, et là où l’on a « tout » on n’est pas content.

 

            Donner un sens à son existence

 

Je vois que tout le monde court derrière le sens. Et tout le monde ne le trouve pas. Parce qu’il faut savoir de quel côté on court pour le trouver. Lorsque j’étais jeune j’ai cherché un sens à ma vie, dans les philosophes, la littérature, les sorties…

Je crois qu’il faut briser le cercle de l’égoïsme. Personne ne s’est donné sa propre vie mais chacun l’a reçue comme un don. Lorsque j’ai essayé dans ma vie de donner un sourire, de partager un petit bout de mon petit cœur pour communiquer un peu d’espérance, alors ma vie a pris sens.

Je crois que la vie est un miroir : si tu souris au monde, un jour le monde te sourit. Comme je l’ai écrit dans mon livre : « A quoi ça sert de vivre ? »… où je cite les Pensées de Pascal : « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. » Le « cœur » c’est ce lieu où Dieu parle à l’homme et où l’homme parle à Dieu ».

 

            La pire des souffrances : la mort d’enfants

 

Il n’y a rien de pire au monde et, pourtant, je l’ai trop vu : lorsqu’un enfant meurt, tout paraît brisé. Tout paraît fini, la vie n’a plu de sens et le ciel semble fermé. Comme femme et religieuse je suis révoltée et je dis à Dieu ma colère : « Où es-tu Seigneur lorsque des innocents meurent . Existe-tu seulement ? » Malgré tout, je reste avec ma conviction : l’amour est plus fort que la mort ! Cela n’enlève rien à la souffrance de l’absence. Curieusement cela m’aide à ne pas baisser le bras et à me battre pour apporter de l’aide à ceux qui sont dans la peine.

 

            Ce qui l’a réjouie dans notre monde

 

Dans ce monde violent, je suis frappée par le nombre de ceux qui ne savent pas écraser l’autre, mais le respecter. Je suis éblouie de ce qu’un être libre peut donner de lui-même. C’est là la beauté du mystère de l’homme… Je ne vois pas la nécessité d’enfoncer davantage des clous sur les plaies : il y a assez de marteaux qui s’y emploient.

 

Merci Seigneur ! parce que j’ai découvert à quoi ça sert de vivre … apprendre à aimer.



 

Propos recueillis par le Père Jean-Luc LE FRANCOIS

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